Casita de Barro | Soupe de criquets
Maestra, vous n’allez quand même pas attraper des criquets ! Je vois les yeux amusés d’Augustin. Ce serait bien la première fois dans le village qu’une personne avoue être végétarienne ou ne pas manger de viande par simple conviction morale. Mais je connais bien Augustin. C’est un étudiant de quinze ans qui vient à Casita de Barro pour prendre des cours d’anglais depuis des années. Je joue le jeu et je lui réponds que c’est plus facile pour moi d’attraper des criquets que des serpents ou des tigres. Dans le village, on parle plutôt de Coatl (serpent), Ocelotl (tigre) et Chapulin (chapuline/criquet). Il acquiesce et rit en même temps. C’est la saison des criquets.
Ils sont des millions et ils dévorent tous les végétaux qu’ils rencontrent. Nous, nous avons appris à les apprécier pour leur haute teneur en protéines. Avant que le soleil revigore les robustes insectes, nous sommes déjà là, avec nos filets, prêts à attraper les criquets encore engourdis. Une fois cuits, vous pouvez les faire revenir dans du beurre ou de l’huile et les assaisonner avec toutes sortes d’aromates. Ou vous pouvez aussi les faire sécher au soleil, puis les réduire en poudre pour les intégrer dans le potage, le riz, le pain, etc. Ce sont les fameux superaliments (superfood) qui se vendent à prix d’or sur le marché.
En tant que jardinier, vous n’aimez pas voir vos plantes devenir la victime de ces insectes voraces. Une bonne technique bio permet de les éliminer : laissez fermenter/pourrir les criquets dans de l’eau, puis pulvérisez vos plantes avec ce macérat. Si vous avez beaucoup de patience et un bon sens de l’observation, vous pouvez aussi rechercher dans le millier de criquets un spécimen portant sur ses pattes un champignon. Vous cultivez celui-ci dans du riz mi-cuit et au bout d’une dizaine de jours, vous le faites macérer dans de l’eau et du sucre jusqu’au moment d’obtenir un cocktail mortel pour les insectes.
Bien sûr, vous pouvez aussi laisser la nature faire son oeuvre. Ce n’est pas un hasard si, à cette époque de l’année, les araignées sont très actives et se délectent chaque jour de criquets qu’elles piègent dans leurs grandes toiles. Sans oublier les multiples mantoptères cannibales qui se fixent sur les végétaux pour se nourrir en abondance des criquets !
Après dix années passées à Casita de Barro, je peux dire qu’un écosystème qui attire toutes sortes d’animaux à différentes périodes de l’année pour maintenir l’équilibre commence à fonctionner. Tandis que je garnis ma tortilla chaude de criquets frits assaisonnés d’ail et de romarin, d’une rondelle d’avocat du jardin et de sauce tomate épicée (tomate, piment, ail et coriandre du jardin), je pense à cette satisfaction que me procure le fait d’être un élément à part entière de ce système durable.
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