Ozark Henry: « La nature constitue mon point de référence »

Après le succès de son album Stay Gold et un été chargé en festivals, Ozark Henry part actuellement à la conquête des scènes avec un nouvel album live en poche – The Journey’s Everything. Pour se ressourcer, le compositeur, chanteur et musicien qu’est Piet Goddaer aime retrouver sa famille à Oostduinkerke, dans une ancienne maison bourgeoise qu’il a rénovée de façon écologique. C’est là qu’il crée sa musique, qu’il nage et profite de son jardin comestible ou s’endort sous le noyer. « Revenir à la maison me procure une sensation de vacances. »

J’ai rencontré Piet Goddaer juste avant le début de la nouvelle tournée live avec laquelle il allait arpenter avec Ozark Henry les scènes et autres maisons de la culture. Aucune trace de nervosité, ni de chaussures, d’ailleurs. Habillé avec style par Ann Demeulemeester, le label de mode dont il est ambassadeur, ce pur talent musical a accepté de m’accorder une interview. Dans une heure, lui et ses musiciens joueront comme des dieux. Parfois de façon calme et fantastiquement ensorcelante, parfois de façon très entraînante et explosive. Avec des battements de tambour passionnels. Avec un jeu d’ombres, de lumières et de projections fascinantes. Lisez un roseau ondulant, des gouttes de mercure et des bribes de poésie. Ou aussi un nageur dans l’eau, une main saisissante, des nuages qui passent et des paysages. Avant de nous glisser dans ce conte de fée musical, il est temps de parler un peu. Avec un talent multiple et obstiné qui, après un parcours musical long et sinueux, a de plus en plus la sensation de revenir chez lui, tant dans sa musique, dans sa maison et son jardin que dans ses propres pensées.

Renaissance musicale
« Lorsque j’ai commencé à faire de la musique, je faisais purement ce dont j’avais envie », lance Piet Goddaer. « Au fil des ans, j’ai testé énormément de nouvelles choses et c’était plaisant, même si ces recherches n’étaient en même temps peut-être pas toujours aussi ciblées. Je n’ai jamais eu l’intention de suivre telle ou telle tendance ou courant, mais lorsque les gens vous connaissent depuis un petit temps, ils vous collent rapidement une image sur le dos. J’ai remarqué que cela m’influençait tout de même d’une manière ou d’une autre. L’an dernier, j’ai tout revu de façon approfondie. Avec comme résultat l’album Stay Gold. Stay Gold comme dans ‘rester fidèle à soi-même’. Aujourd’hui, j’ai la sensation de pouvoir à nouveau faire ce que j’aimais le plus faire. Que je peux vraiment être moi-même. Je joue aussi à nouveau dans la même configuration que lorsque j’ai commencé. Trois gars sur une scène. Nous nous sentons bien dans notre musique et entre nous. Ce qui a été fait était bon et nécessaire. Et c’est bien que les choses soient aujourd’hui ce qu’elles sont. C’est comme si la boucle était bouclée et que nous pouvions prendre un nouveau départ, mais avec un bagage beaucoup plus étoffé. Même si j’ai encore et toujours d’une certaine manière la sensation d’avoir commencé il y a peu. Comme si j’allais faire un stage et commencer quelque chose (rires). J’espère en fait aussi conserver cette sensation. Cela me permet de garder un regard libre sur les choses. »

Lire la suite de l’interview dans le numéro de novembre.

Authentique et non-traité
Dans sa musique, Piet Goddaer aime travailler avec des éléments répétitifs. « J’aime susciter une sorte d’enivrement avec la musique. Chaque morceau raconte naturellement sa propre histoire, mais le fil conducteur constitue tout de même la recherche de l’authenticité. Comme j’attends des framboises qu’elles soient non-traitées et qu’elles goûtent la framboise au lieu du sucre, j’aspire aussi dans mon travail à la pureté et à l’authenticité. La musique constitue pour moi un solide média pour communiquer. Elle laisse beaucoup de place à l’imagination. En même temps, je suis frappé par la manière dont certains de mes morceaux peuvent être personnels voire même intimes et très gênants. Les textes peuvent parfois paraître cryptiques, ils sont en fait souvent très ouverts et nus. D’accord, le fait de creuser profondément en soi fait peut-être aussi que les gens se sentent touchés par un morceau et peuvent se sentir compris. Et donc pas tant en raison du contenu littéral. Il s’agit d’une association d’éléments avec lesquels vous créez une ambiance déterminée, une émotion dans laquelle l’autre pourra se reconnaître. »

La création d’une expérience totale
Piet Goddaer écrit et enregistre chez lui, dans le studio qu’il a aménagé dans son living et où ses jeunes enfants vont et viennent. « Je trouve savoureux d’écrire de nouveaux morceaux. Remplir ma réserve d’inspiration ne pose jamais problème, il s’agit plutôt de la vider à temps, afin de me délivrer de toutes les idées dans ma tête (rires). J’ai commencé à travailler sur Stay Gold lorsque notre fils était tout-petit et que notre fille n’avait que deux semaines. J’ai écrit et enregistré certains morceaux en trois heures. Depuis que les enfants sont là, j’ai appris a également laisser affluer ma créativité quand je n’ai que peu, voire pas de temps. »

Outre sa passion pour la musique, le souci de l’écologie et de la nature forme également une constante dans la vie de Piet Goddaer. Il y a quelques années, les deux se sont mariés de façon très concrète sur un projet de dvd intitulé Ecotone. « La Province de Flandre Occidentale m’avait demandé une composition pour un morceau de musique multi-voix », explique Piet. « Je voulais épingler le caractère à la fois fragile et puissant d’un paysage, et j’ai demandé à Dixie Dansercour s’il n’avait pas des visuels pouvant coller à cette thématique. Il s’est avéré qu’il disposait encore par hasard d’images d’une expédition dont il n’avait rien pu faire parce que la prise de son avait échoué. Il a ainsi pu utiliser le son, et moi les images. The perfect match (rires). Associer images et musique permet de créer une autre sorte d’émotionnalité. Nous l’expérimentons désormais aussi sur scène: en soutenant la musique avec des projections pour créer un enivrement et une expérience totale. »

Sensation de vacances à la Villa Hortensia
Cette sensation totale de vacances et de chez soi, le musicien la vit depuis 2011 à Oostduinkerke, où il habite avec sa famille dans une ancienne maison bourgeoise rénovée. Un retour à ses racines, car Piet Goddaer a grandi à Courtrai avant de migrer vers Oostduinkerke dès ses six ans. « J’aime particulièrement y vivre. Je connais tout le monde et je me sens chez moi. Notre jardin et la proximité de la mer me procurent toujours une sorte de sensation de vacances. »

La maison a jadis été construite pour Hortense Permeke. L’inscription Villa Hortensia est gravée dans la façade. « Nous avons conservé les éléments anciens de la façade, comme pour dire: on ne jette pas ce qui est encore bon. Nous avons mis le reste totalement à nu et avons transformé la maison en une maison zéro énergie. Une maison extrêmement bien isolée. L’hiver, nous nous chauffons avec une pompe à chaleur et la chaleur pénètre à l’intérieur via de grandes baies vitrées côté sud. L’été, la chaleur repart dans le sol. Nous avons ainsi une température constante toute l’année. Nous produisons de l’électricité avec des panneaux solaires. Et pourtant, notre maison ne ressemble pas à une maison passive. Les plafonds sont par exemple très hauts partout, parce que nous aimons avoir une sensation d’espace. Et nous avons tout laissé en blanc, jusqu’aux revêtements de sol, afin de profiter d’une luminosité maximale. Pour moi, tout l’art consiste à marier esthétique et fonctionnalité. La maison a été conçue de manière à bénéficier d’une vue sur l’eau depuis chaque pièce grâce à de grandes baies vitrées, de telle sorte que l’intérieur et l’extérieur se fondent pour ainsi dire l’un dans l’autre. Les fenêtres font un peu office de cadres. Elles encadrent la verdure et l’attirent à l’intérieur. »

Dormir sous le noyer
Il n’y a pas que pour la rénovation que Piet Goddaer a joué la carte de l’écologie. Dans son jardin également, il fait ce qu’il peut pour donner un coup de pouce aux écosystèmes naturels. « Nous jardinons de façon totalement biologique et naturelle. Mon épouse réalise par exemple elle-même du purin d’orties pour nourrir les plantes. Et vu que la population d’abeilles est mise sous pression, nous épandons des mélanges pour leur permettre de se sentir bien chez nous.

Nous disposons d’un petit jardin simple, dont une grande partie est occupée par une piscine et la station d’épuration naturelle nécessaire. Sur la centaine de mètres carrés restants, on trouve de nombreuses plantes comestibles. De la blette et du topinambour aux fraises en passant par des poires, des groseilles et des mûres. Pour aménager le jardin, nous avons discuté avec énormément de gens pour faire le plein d’idées. Ce qui était intéressant, même si nous avons finalement tout de même opté pour notre propre concept. Nous avons en grande partie aménagé le jardin au feeling et selon notre propre logique. Nous n’avons pas un potager typique. Un sentier sillonne le jardin et nous avons tout simplement planté tout ce que nous aimons, de façon mélangée en tenant uniquement compte du soleil et de la taille des plantes. D’autres plantes, des fleurs et des mauvaises herbes poussent donc également entre les plantes comestibles. Le jardin présente vraisemblablement un petit air sauvage, mais nous le trouvons très agréable, et c’est un paradis pour les abeilles. On y trouve aussi quelques pommiers, un poirier et un noyer. J’aime vraiment passer du temps dans le jardin et voir tout ce qui y vit et y pousse. »

Garder le contact avec un grand panorama
Le maître de maison ne travaille pas énormément lui-même dans le jardin, même s’il taille ses arbres de ses propres mains. « La nature joue quoi qu’il en soit un rôle important dans ma vie. Dès que je trouve le temps, je me rends dans le jardin, sur la plage ou dans la verdure. Les soirs d’été, il est agréable de s’endormir sous notre noyer et, en hiver, je ne trouve rien de plus chouette que de me lever tôt pour aller faire du jogging sur la plage. Ou aller marcher ou faire du vélo dans la nature. Lorsque nous habitions encore dans le Limbourg, près d’Averbode au milieu des bois, il m’arrivait parfois de faire jusqu’à 60 kilomètres à travers bois et champs. C’est terrible de pouvoir encore faire ça en Flandre. Ici aussi, j’aime faire du vélo dans les Polders. Il est par exemple sympathique de voir qu’il y a de nouveau de nombreux grèbes huppés. Aussi artificiel notre cadre de vie puisse-t-il devenir, je veux garder le contact avec un grand panorama. C’est ce que représente la nature pour moi. »

Un impact minimal pour la planète
Si sa famille joue aussi la carte de l’écologie et de la nature dans la cuisine? « Absolument. Nous tenons compte de la façon dont notre nourriture est cultivée et de son impact sur l’environnement. Nous achetons autant que possible des produits bio. Et remplaçons les sucres raffinés par des sucres naturels. Nous trouvons la plupart de ceux-ci dans le magasin d’aliments naturels dans la rue ou dans notre jardin. Pour manger suffisamment diversifié, nous complétons cela avec de la nourriture bio provenant d’autres magasins. Ce choix de manger bio dans la mesure du possible constitue une évidence, tant pour mon épouse que pour moi-même. Quand on voit où va notre planète, il ne faut pas s’attendre à ce que quelqu’un d’autre résolve les problèmes si nous ne sommes pas prêts nous-mêmes à apporter notre petite pierre à l’édifice dans la mesure du possible. Le monde est sale. La question, c’est de savoir comment remettre les choses dans l’ordre de façon faisable. Oui donc, nous réfléchissons aux aliments qui présentent la meilleure valeur nutritive, qui ont bon goût et qui ne nécessitent pas une production trop intensive. »

Pieds nus et nature intacte
Le contact avec la nature a également joué un rôle important dans les nombreux voyages effectués par Piet Goddaer. « J’ai trouvé le Kenya extrêmement impressionnant. Ce pays possède une richesse naturelle si immense qu’il est inimaginable que la pauvreté puisse régner dans d’autres endroits. Nous y avons rendu visite aux Masaïs et avons traversé la Masai Mara, une réserve naturelle gigantesque où vous pouvez encore vraiment ressentir une sensation de nature intacte. Cette somptuosité apparemment vierge, je l’ai également ressentie en Scandinavie et en Islande. C’était très agréable. »

Durant l’interview, Piet Goddaer portait des tongues; bientôt, il reprendra sa bonne habitude de monter sur scène pieds nus. Cela m’a intriguée. S’agit-il d’une sorte de superstition? Ou est-ce pour mieux se sentir relié à la terre? L’explication est d’ordre un peu plus pratique. « Je me suis un jour cassé le pied. On m’a alors amputé d’un bout d’orteil, avec une longue revalidation à la clef. Je ne pouvais alors par définition pas porter de chaussures et, depuis lors, je ne peux également plus plier mon gros orteil, ce qui a un impact sur mon sens de l’équilibre. J’ai de toute façon toujours aimé marcher pieds nus, mais il ne s’agit donc certainement pas d’une religion. Cela me permet surtout d’avoir un meilleur équilibre sur scène. »

Le manager nous indique que le temps imparti a touché à sa fin. Le voilà reparti. Le musicien aux pieds nus. Une belle personne. Et toujours en quête de plus en plus d’authenticité et d’équilibre. Au sens propre comme au figuré. Destination inconnue, mais que cela peut-il faire? The Journey’s Everything.

Pour tout complément d’information et pour découvrir toutes les dates de la tournée, surfez sur www.ozarkhenry.com

 

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